Madame D., 32 ans, se présente à une consultation spécialisée de cornée pour avis diagnostic et thérapeutique avec l’intitulé “sécheresse oculaire” sans précision. Madame D. présente une symptomatologie typique des pathologies de la surface oculaire évoluant depuis 2 ans : d’abord une photophobie en août 2020, puis l’apparition de brûlures itératives, sensation de grains de sable et enfin instabilité de la vision. Aucun facteur déclenchant n’est retrouvé. Elle n’a aucun antécédent général ou ophtalmologique, aucune allergie et ne prend aucun traitement par voie générale. Elle travaille dans son propre salon de coiffure.
Madame D. consulte donc une première fois en septembre 2021, avec un diagnostic de syndrome sec oculaire et une ordonnance de traitement par larmes artificielles.
Devant l’échec de ce premier traitement, des corticoïdes locaux associés à un antibiotique sont prescrits. L’effet est immédiat, mais la patiente va rapidement développer une corticodépendance.
fig. 1
C’est finalement au cours de l’été 2022 qu’elle rencontre un ophtalmologiste qui suspecte une pathologie de la surface rare et l’adresse à notre cabinet pour avis. Lors de cette consultation, la patiente a une acuité visuelle conservée: 10/10e Pa2 aux deux yeux sans correction. La pression intraoculaire est normale aux deux yeux.
L’examen en position primaire montre des yeux blancs ( fig. 1).
Mais, en soulevant la paupière supérieure, on retrouve la présence d’une hyperhémie conjonctivale très marquée ( fig. 2 ).
Cette hyperhémie est associée à une kératoconjonctivite phlycténulaire supérieure: phlyctène de la conjonctive et kératite ponctuée supérieure discrète ( fig. 3 ).
Un chalasis de conjonctive est responsable d’un frottement répété et chronique de ce tissu sur la cornée supérieure ( fig. 4 ).
L’examen des glandes meibomiennes montre un discret dysfonctionnement meibomien sans atrophie des glandes, confirmé par la meibographie infra-rouge.
L’OCT cornéen, avec carte de mapping épithélial, montre une image caractéristique du syndrome sec oculaire modéré à sévère : l’atrophie supérieure bilatérale.
(fig. 5).
Face à ce tableau, une kératoconjonctivite limbique supérieure de Théodore est évoquée. Devant l’échec du traitement médical et la corticodépendance, la prise en charge proposée est médico- chirurgicale :
Un bilan biologique complémentaire ne met pas en évidence de trouble thy- roïdien. La patiente est opérée à l’automne 2022. Dans les suites postopératoires, une amélioration très significative de la symptomatologie est rapportée avec une diminution de la photophobie et la disparition des sensations de brûlures et de grains de sable.
À 1 mois de la chirurgie, la vision est toujours conservée à 10/10e Pa2 sans correction et la pression intraoculaire normale aux deux yeux. L’examen objective une normalisation de l’aspect de la conjonctive: régression de l’hyperhémie, lissage de la conjonctive et disparition de la kératite supérieure (fig. 6)
Le contrôle du mapping épithélial objective une disparition des zones d’atrophie et une normalisation de l’exa- men sur les deux yeux ( fig. 7).
La patiente est sevrée en cortisone dès J+ 15 et nous lui conseillons simplement de poursuivre l’hygiène des paupières de manière préventive avec instillation, à la demande, de substituts lacrymaux.
Après 6 mois de recul, elle ne présente pas de récidive.
La kératoconjonctivite limbique supérieure a été décrite par Théodore en 1963 [1]. C’est une entité rare, caractérisée par une atteinte spécifique de la conjonctive supérieure, du limbe supérieur et de la cornée supérieure.
La physiopathologie semble s’expliquer par un conflit mécanique entre un chalasis de la conjonctive supérieure venant frotter de manière itérative sur le limbe et la cornée supérieure et entraîner une inflammation locale chronique. Cette pathologie touche plus souvent les femmes entre 20 et 60 ans. Dans environ 30 % des cas, une pathologie thyroïdienne est associée.
Le traitement peut être médical et/ou chirurgical, à évaluer au cas par cas et selon l’habitude des équipes. La technique de résection a déjà été décrite dans la littérature [2, 3], associée ou non à une greffe de membrane amniotique.
La seule étude comparative n’a pas montré de supériorité de la greffe de membrane amniotique [4] dans l’évolution postopératoire, elle a été motivée dans notre cas clinique pour favoriser une cicatrisation plus rapide et limiter les douleurs postopératoires.